Une Courbe au Paradoxe Fascinant
La trompette de Gabriel (ou trompette de Torricelli) est un objet mathématique qui illustre parfaitement comment l’intuition peut nous tromper en mathématiques. Voyons comment cette courbe peut avoir simultanément une longueur finie et enfermer une aire infinie.
Définition de la courbe
La trompette de Gabriel est formée par la rotation de la courbe définie par la fonction f(x) = 1/x pour x ≥ 1 autour de l’axe des x. On obtient ainsi une sorte de « trompette » qui s’étend à l’infini vers la droite, tout en devenant de plus en plus fine.
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Démonstration de l’aire infinie
Pour calculer l’aire de la surface de révolution, nous utilisons le fait qu’une petite tranche de la surface à la position x a une aire approximative de 2π × f(x) × dx. L’aire totale est donc :
A = 2π ∫₁^∞ (1/x) dx = 2π [ln(x)]₁^∞
Quand on évalue cette intégrale, on obtient : A = 2π × (ln(∞) – ln(1)) = 2π × (∞ – 0) = ∞
Cette aire est infinie parce que la fonction 1/x décroît trop lentement lorsque x tend vers l’infini. En termes simples, bien que la « trompette » devienne de plus en plus fine, elle s’étend suffisamment loin pour que son aire totale soit infinie.
Démonstration de la longueur finie
La longueur de la courbe est calculée en utilisant la formule :
L = ∫₁^∞ √(1 + [f'(x)]²) dx = ∫₁^∞ √(1 + 1/x⁴) dx
Lorsque x devient grand, 1/x⁴ devient très petit très rapidement. Pour x suffisamment grand, on peut approximer cette intégrale par :
L ≈ ∫₁^∞ (1 + 1/(2x⁴)) dx = [x + 1/(6x³)]₁^∞ = (∞ + 0) – (1 + 1/6) = ∞ – 7/6
Mais cette approximation n’est pas exacte. En réalité, on peut démontrer que :
L < 1 + ∫₁^∞ (1 + 1/(2x⁴)) dx < 1 + 1 + 1/6 = 13/6
La longueur est donc finie et inférieure à 2,17 unités.
Explication du paradoxe
Le paradoxe vient de notre intuition qui nous fait penser qu’une courbe longue devrait englober une grande aire. Cependant, ces deux propriétés mathématiques sont distinctes :
- L’aire dépend de la hauteur sur toute la longueur de la courbe. La fonction 1/x décroît trop lentement, ce qui donne une aire infinie.
- La longueur dépend de la pente de la courbe. La dérivée f'(x) = -1/x² tend rapidement vers 0, ce qui fait que la courbe devient presque horizontale très vite, limitant sa longueur totale.
C’est comme si vous aviez une ficelle de longueur finie que vous pouviez disposer de façon à entourer une aire infinie. Bien sûr, c’est impossible dans le monde physique, mais parfaitement valide dans le monde mathématique des limites et de l’infini.
Le paradoxe est encore plus saisissant lorsqu’on considère que cette trompette qui s’étend à l’infini pourrait théoriquement être « peinte » avec une quantité finie de peinture (car sa surface est de longueur finie), mais ne pourrait jamais être remplie avec une quantité finie de peinture (car son volume est infini).
Ce paradoxe illustre magistralement comment l’intuition peut nous tromper lorsqu’on travaille avec l’infini, et pourquoi une approche rigoureuse basée sur l’analyse mathématique est nécessaire.
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